Déjà bien avant de voir Blackfish, les tours avec les animaux, c’est le genre de trucs que les gens trouvent presque toujours extraordinaires mais qui m’ont toujours profondément blasée, au point de rendre toute visite au cirque ou tout spectacle de dressage à peine supportable (je dis « à peine », parce qu’il y a des artistes comme Muriel Hermine, Bartabas… qui proposent de très belles choses). Peut-être aussi que voir un ours faire un tour en mobylette sous un chapiteau de cirque ou des dauphins faire des saltos dans un bassin du Parc Astérix a fait naître pas mal de réticences de ce côté-là malgré mon jeune âge à l’époque, parce que rien de tous ces actes « extraordinaires » ne paraissait tout à fait normal de la part de ces animaux, pour ne pas dire complètement contre nature…
Le film propose un décryptage et un retour en arrière suite au décès le 24 février 2010 de Dawn Brancheau, soigneuse senior dans le parc SeaWorld. Loin d’être une charge aveugle contre le géant de l’entertainment aquatique, Blackfish se borne à exposer les faits et à rassembler les témoignages de témoins et de scientifiques. La suite (morale, réflexion…) est laissée aux spectateurs et en n’étant pas moralisateur, en n’incitant pas à la condamnation ferme et définitive du dressage des animaux, Blackfish est un documentaire intelligent dont chacun appréciera – ou non – la démonstration.
Blackfish commence avec le coup de fil du médecin du parc aux secours suite à l’accident de Dawn Brancheau dans le bassin des orques. Les témoignages qui suivent s’attachent à faire comprendre comment un tel accident a pu arriver, avec dans un premier temps un retour en arrière de 39 ans, à l’époque de la création de SeaLand Pacific. Une époque à laquelle on trouvait tout à fait normal d’aller capturer des animaux dans la nature en utilisant les moyens les plus agressifs possibles (bombes lancées dans l’eau, course-poursuite en bateau, filets…), et où on trouvait également normal de séparer les petits de leurs mères parce qu’ils seront plus faciles à dresser et de lester les corps des orques morts pendant les opérations de capture pour que leurs corps ne soient pas retrouvés. Bref, c’était une époque géniale pour les braconniers et autres créateurs de parcs marins !
Les ex-dresseurs qui interviennent ont tous connu le parc et la magie de ses spectacles lorsqu’ils étaient petits et expliquent que leur vocation et leur désir de devenir dresseurs / soigneurs à SeaWorld remonte à leur enfance. Tous expliquent ne rien avoir trouvé à redire aux méthodes de dressage des animaux, expliquant qu’un orque qui se comportait mal doit être puni là où un orque qui réalise son exercice doit être récompensé. Rapidement, on pointe du doigt les limites de ce raisonnement simpliste en évoquant des privations de nourriture et la frustration que cela peut entraîner chez les animaux, qui – aidés en cela par la captivité – commencent à s’attaquer les uns les autres.
Si les mauvais traitements n’ont pas été clairement évoqués, certaines pratiques étaient clairement plus que borderline déjà à l’époque. SeaLand Pacific, le premier parc aquatique, se trouvait dans une marina où les bassins étaient peu profonds et suffisamment mal aménagés pour qu’il soit nécessaire de parquer les orques la nuit dans des bassins encore plus petits à ciel couvert, augmentant la promiscuité des animaux et donc leur frustration. En 1991, un orque entraîne une soigneuse dans le fond du bassin et la noie. Bizarrement, le rapport de l’accident indique qu’elle s’est noyée toute seule… L’orque en question s’appelle Tilikum.
Le film est entrecoupé d’images d’archive d’anciennes publicités du parc, présentant l’endroit comme un lieu magique où les animaux sont heureux et où tout le monde est beau (et gentil)… mais clairement la poudre aux yeux ne produit plus son effet grâce / à cause de tout ce qu’on a pu voir avant.
Les 20 ans qui suivent sont une succession d’incidents dissimulés et de choix pas spécialement intelligents. Tilikum est choisi pour féconder plusieurs femelles orques et est en même temps envoyé à SeaWorld, en Floride. De par les témoignages, on devine que les dirigeants de SeaWorld étaient au courant pour le prétendu accident de 1991, mais soigneurs et dresseurs n’en ont apparemment jamais été informés. Plusieurs incidents (près de 70 en 20 ans) et blessures surviennent, mais sont à chaque fois dissimulés ou mis sur le compte de la négligence du personnel.
En 2010, Dawn Brancheau est entraînée vers le fond par Tilikum et son corps est littéralement disloqué. Là encore, la direction de SeaWorld travestit encore les faits et fait savoir aux autorités que Dawn a glissé, est tombée dans le bassin et s’est noyée toute seule. Lorsque l’implication de l’orque est révélée au grand public, SeaWorld tente une énième pirouette et accuse la dresseuse de négligence, expliquant que sa queue de cheval était trop longue et a donc permis à l’orque de l’entraîner au fond…
Le style de Blackfish fait un peu penser à documentaire dans le style Michael Moore, avec ce petit parfum d’activisme pas déplaisant aussi longtemps qu’on partage le point de vue du réalisateur. Certains passages sont un peu gratuits à mon goût (la lourde insistance sur la noyade du fou retrouvé noyé dans le bassin de Tilikum un matin), mais malgré ce petit écart, le documentaire se borne aux faits et les étaie avec des témoignages et images prises par des témoins, des spectateurs et par des soigneurs. Blackfish nous amène à reconsidérer et à réévaluer l’impact de ce que beaucoup considèrent simplement comme un parc familial, de la même manière que Michael Moore nous amenait à considérer la puissante McDonald’s pour ce qu’elle était en pratique. Dans la réalisation, il n’y a rien de véritablement innovant ou extraordinaire mais Blackfish fait le job en étant tout à la fois mémorable, percutant, et surtout très convaincant.
On parle au final assez peu des animaux mis en captivité pour le plaisir et le divertissement de l’Homme – et on en parle encore moins lorsque les mauvais traitements et leurs séquelles sont étouffées par les relations publiques de sociétés comme SeaWorld, qui continuent d’affirmer que les orques PROFITENT de la captivité. Les témoignages scientifiques viennent un peu équilibrer le propos du film, en précisant qu’aucun orque en liberté n’a blessé un homme à ce jour, là où le nombre d’hommes blessés par un orque maintenu en captivité ne cesse d’augmenter…
Je n’étais déjà pas persuadée de la pertinence de garder dans une piscine (même profonde) un animal marin ayant besoin d’espace et de liberté avant, donc clairement Blackfish me conforte dans l’idée que les animaux n’existent pas pour faire des tours stupides avec des ballons ou autres accessoires. Le propos manquait de nuance par moment, mais le message sous-jacent est plutôt bien passé: Blackfish m’a écoeurée et m’a soulevé le coeur… et c’était sans doute le but.
Il reste encore beaucoup à faire pour préserver le bien être animal, à commencer par fermer ces parcs et par apprendre aux nouvelles générations à considérer l’animal autrement que comme un clown né pour divertir sur commande.
Article originellement publié sur britishg3eks.net .